Le cyberharcèlement à l’égard des journalistes est un phénomène aussi ancien qu’Internet lui-même, mais il s’est considérablement accru depuis une dizaine d’années avec le développement des réseaux sociaux. Il est devenu peu à peu un objet important de préoccupations pour de nombreux acteurs, parmi lesquels les organisations professionnelles. Des travaux de recherche ont permis de mieux saisir les ressorts du phénomène, la variété des actes qu’il recouvre, les facteurs qui en augmentent le risque (notamment le genre, la visibilité médiatique et la couverture de sujets controversés), les conséquences qu’il entraîne pour celles et ceux qui en sont victimes, ainsi que les risques de censure qu’il provoque. En revanche, tant en Belgique qu’à l’étranger, peu de recherches ont étudié la manière dont les entreprises médiatiques se représentent et gèrent les éventuels cas de cyberharcèlement affectant leur personnel, ainsi que l’organisation elle-même.
Sylvain Malcorps, Florence Le Cam et Manon Libert, chercheur et chercheuses au LaPIJ, ont choisi d’explorer cette perspective dans une enquête inédite réalisée entre février et octobre 2021. Cinq organisations médiatiques belges actives dans la production d’informations en Belgique francophone et 22 personnes ont pris part à l’étude. Le matériau de recherche est issu d’entretiens avec les top managers de ces entreprises et de focus groups réunissant les responsables de la rédaction, du service juridique, des ressources humaines, du service interne pour la prévention et la protection au travail (SIPP), des gestionnaires de communautés en ligne, de l’informatique (IT) et de la sécurité.
Le quatrième Carnet du LaPIJ est consacré aux résultats de cette recherche.
L’enquête révèle notamment que le cyberharcèlement et plus généralement les violences en ligne souffrent d’un manque de définition qui entraîne un flou dans la gestion des cas rencontrés. La prise en compte de l’existence du cyberharcèlement des travailleuses et travailleurs des médias par leurs managers varie alors fortement d’une entreprise à l’autre.
La recherche souligne, par ailleurs, que le cyberharcèlement est parfois davantage perçu comme le problème d’un individu, et non comme un enjeu collectif pour l’organisation ou pour le métier de journaliste. Une partie des intervenant·e·s tend ainsi à se reposer sur la capacité de résistance de la victime.
En miroir de cette perception individuelle des cas, l’analyse montre que plusieurs organisations proposent uniquement une gestion au cas par cas des faits de violence en ligne. Les actions proposées ne sont ni systémiques, ni proactives : elles s’appuient fortement sur les ressentis des victimes, leur force de caractère et leur aptitude à s’exprimer en cas de problème.
L’ensemble des résultats est à retrouver au sein du Carnet du LaPIJ. À la fin du Carnet, quatre hypothèses de travail et 19 recommandations concrètes sont proposées visant à améliorer la prise en compte du cyberharcèlement des travailleuses et travailleurs médiatiques. Certaines sont destinées au management des entreprises, d’autres concernent l’ensemble du secteur.
Les auteurs de l’étude souhaitent inviter les journalistes, les entreprises médiatiques, les organisations professionnelles, les syndicats, etc. désireux d’approfondir les pistes de réflexion ou de mettre en place certaines recommandations à les contacter à l’adresse lapij@ulb.be.
2021, n°3 : Marie Fierens, Humanitaires et journalistes a l’Est de la République démocratique du Congo : une amitié négociée.
2021, n°2 : Laurence Dierickx, Journalisme algorithmique.
2020, n°1 : Florence Le Cam, Manon Libert et David Domingo, Journalisme en confinement.